Discussion avec mon ulcère

Hier soir, j’ai discuté avec mon ulcère. Il le fallait. Il était agité, impatient que tout cela s’arrête. J’ai alors décidé de l’écouter, pour qu’il me dise enfin ce qu’il avait tant besoin de me dire. 
J’ai d’abord pris un bout de ma peau entre le pouce et l’index, puis avec la douceur d’un artisan, je l’ai retiré. J’ai retiré ma peau mate, abîmée par les cicatrices des chutes et de la maladie, par la vergeture héritage d’un poids soumis aux humeurs instables dues à ce qu’ils appellent « l’anxiété » et que moi, j’appelle « le vide ». L’anxiété est la maladie de ceux qui ont peur du vide. J’ai accepté l’inacceptable, en sacrifiant ma poésie pour mon ventre. Le corps est un roi, qui nous tolère dans son palais. J’enfume son palais, je le nourris, je l’abîme, je l’utilise et il m’utilise. Quand je le délaisse, il se venge. Ne vous fiez pas aux airs de la métaphore, tout cela est banal. Voyez dans les écoles, les rues et les maisons, ces corps jeunes qui fument du poison, discutant d’un destin qui leur échappe. 
Après avoir retiré ma peau, et avec un briquet, j’ai fait fondre la couche de gras. Accumulation de plats que j’ai oubliés, sauf ceux de ma mère, évidemment.  

Suite à cela, il y avait les muscles et les os. Je me suis dirigée vers le miroir. J’étais encore moi, sans vraiment l’être. L’âme, je la reconnaissais, mais l’enveloppe n’était bonne qu’à se faire photographier pour les livres de science. D’un coup, j’étais concrètement un corps. D’un coup, j’étais concrètement un tas de viande, de veines, d’os, et d’eau. Mes pieds dans la flaque jaune de gras, ma peau accrochée au poignet de la porte, je pris un couteau et me fis une incision au niveau de l’estomac. Soudain, un grand cri. C’était l’ulcère.
– C’est toi ? Me demande-t-il 
– Oui 
– Il était temps que tu m’écoutes, qu’attends-tu pour me laisser partir ? 
– Le médecin m’a dit que ce n’était pas possible.
– Tu sais les médecins, c’est des mécaniciens, pas des philosophes, ni des poètes, sinon on le saurait.
– Certes, mais les philosophes et les poètes ne guérissent rien
– Oui, mais ils font en sorte que ça n’arrive pas…
– Facile à dire, tu ne subis pas ce qu’on subi, ici. 
– Si, la nourriture bas de gamme, l’air noircie par le carbone, les coups de colère, les coups de sang, les mots jamais dits, les traumas encore enfouis, et ce bruit infernal, constant et sans harmonie de la bêtise  . Ulcère, cancer, diabète, tension, dépression, médicaments, alcoolisme…
– Qui t’a créé ? 
– Toi 
– Et moi qui m’a crée ? 
– Ca, je ne sais pas, je n’ai pas encore tranché sur la question. Mais nous pouvons poser la question au cerveau. 


Je scie le haut de mon crâne, un rire en sort. C’est mon cerveau. 


– Hahaha, voilà donc le monde dans lequel je m’agite, dit-il en scannant le salon
– Cerveau, je me présente, je suis l’ulcère de cette jeune femme, et elle me demande qui l’a crée ? 
– Bah, voyons ! Ses parents !
– Non, dis-je, je ne parle pas de conception, mais de création 
– Ouh là, je ne pourrais pas te répondre, enfin, je n’ai pas encore tranché sur la question. Pourquoi souhaites-tu t’aventurer dans ce puits sans fond ? 
– Pour savoir, pour comprendre, pour me libérer
– Cette manie qu’elle a de vouloir comprendre, c’est qui m’a amené ici, dit l’ulcère, elle veut découvrir autre chose que ce qu’on lui offre.
– Ou est le mal ? Devenons-nous nous contenter de si peu de réponses ? 
– Non, évidemment ! Dit le cerveau, nous devons réfléchir, mais vois-tu, l’époque et ton environnement exigent de toi de la prudence et du pragmatisme. Tes questions demandent du temps, et pauvre comme tu es, tu ne peux pas arrêter le sablier. Avoir le temps, c’est avoir de l’argent. Pour la prudence, ai-je besoin de m’étaler dans quelle partie du monde tu es née, dans ta citée on ne pose plus de questions depuis bien longtemps. Les questions titillent la croyance, et pour ces aveugles leur béquille est sacrée. 
– Mais je ne suis pas aveugle. 
– Qui te l’a dit ? 
– Oui, qui te l’a dit ? 
– Vous, vous êtes la preuve que je ne suis pas aveugle, toi mon cerveau et toi mon ulcère, vous êtes faits de ces questions, de toutes ces réponses que je rejette. Je refuse de me contenter d’une loi, je veux un droit, un seul, celui de chercher. 
– Pourquoi ? Pour être enfin heureuse ?! hahahah, répond le cerveau moqueur 
– Je ne crois pas au bonheur. 
– Tu ne crois ni aux lois, ni au bonheur, en quoi crois-tu ? 
– À l’équilibre. 
La discussion fut interrompue par la sonnerie de la porte. Je vais ouvrir. La voisine en me voyant, cris et s’évanouit. Je pris le téléphone pour appeler les secours, mais le téléphone glissait entre mes mains pleines de sang.
– Pourquoi les humains ont aussi peur de ce qu’ils ne voient pas ?! 
– C’est l’imagination, répondis-je 
– C’est surtout l’ignorance ! s’exclame le cerveau. Entrons, elle pensera qu’elle a vu un Djin , ou autre .
– J’ai faim, dit l’ulcère.
J’entre dans la cuisine, je mets à bouillir une casserole d’eau, et je sors un paquet de Randa Spaghetti n°2 . 
– Tu n’as rien d’autre ? Demande l’ulcère.
– Non, vois-tu le cerveau n’a pas été capable de me rendre assez riche pour manger des mets fins et délicats, tu devras te contenter de cela 
– À qui appartient Randa ? S’interroge le cerveau. 
– Toujours les mêmes, les héritiers, les propriétaires, ceux dans le nom de famille suffit pour faire pleuvoir de l’argent. 
– Pouvons–nous revenir à moi, alors le temps que ta bouillie pour chien finissent de cuir, je suis là pour te demander d’arrêter de subir. 
– Ulcère, tu es bien gentille, mais ta requête est impossible, vois-tu dans cette partie du monde, les gens subissent, ils ne vivent pas. 
– Je dois y aller, c’est pire que ce que je pensais. 
– Tu n’iras nulle part, nous sommes en toi. La seule chose que tu peux faire, c’est arrêter cette discussion, là, maintenant ! Pour cela, il suffit de mettre un point à la fin de cette phrase. 

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