Tunisie: ces maladies sans noms

Je ne supporte plus l’odeur du pain imbibé d’huile de thon. 

L’enfermement jusqu’à la nausée, et une envie de rupture qui agite le corps et l’esprit.

Les articulations qui refusent d’obéir aux devoirs. 

Résister à la normalité pathologique et absurde d’une majorité qui continue à rouler vers le même point, alors que le chemin n’est plus le même.  

La prétention de ceux qui croient être saint d’esprit, voyez, ceux qui encouragent à “la stabilité” et au “raisonnement” alors que nous sommes en sursis pour la prison, la précarité, la connerie.  Je voudrais dire , à chaque personne qui se croit  raisonnable qu’elle ne l’est certainement pas. Nous avons tous, sans exception, de 7 à 77 ans développé de nouvelles maladies.

Nous sommes des petits monstres qui se débrouillent, qui se méfient , qui s’épuisent dans le dénie de leur Tunisitude. Voyez cette mère qui pousse son enfant pour qu’il dépasse la file d’attente, elle lui dit : “ vas-y je te dis, tu t’en fou” , ou cet homme  avec un sourire condescendant faussement bienveillant qui dit : “Binti , pourquoi des tatouages, tu es si jolie” ou encore la familiarité du caissier qui remarque votre bronzage , l’intrusion de la voisine qui veut comprendre de quoi vous êtes fait(e), sans oublier ceux qui tirent leur sagesse de la lourdeur de leurs couilles et qui exigent de leurs progénitures d’être à la hauteur de la semence. Et les progénitures feront tout pour être à la hauteur de la semence.  Il y a aussi ceux qui devraient guérir cela, mais qui se sont perdus…ils ne réfléchissent plus, ils “continuent le combat” .

Voyez , au loin, le champ de cadavres d’histoires d’amour butées par le pragmatisme matériel des pauvres, ou le pragmatisme sociale des riches. 

Je mange une fois par jour, juste un bout, pour tenir. Bouffe d’usine. 

Ton plat de Fell au mouton que tu passes 20 minutes à mettre en scène pour le partager sur Fb, tu mets le tout dans un  Tebsi  jaune et vert, comme tu l’as toujours connu . 

Je ne supporte plus l’odeur du pain imbibé d’huile de thon. 

Ce qui n’était qu’une graine , est devenu un état d’esprit. Les soumis n’ont jamais été aussi soumis, les narcissiques n’ont jamais été aussi narcissiques, les rêveurs n’ont jamais été aussi fatigués, les curieux n’ont jamais été aussi intrusifs et les victimes n’ont jamais été aussi violentes. Le Rang du Boom qui déchiqute la gueule. 

Je ne supporte plus l’odeur du pain imbibé d’huile de thon. 

La lourdeur des jambes qui répètent le même chemin. J’ai appris par cœur toutes les enseignes de Place Pasteur à Rue de Rome. L’odeur de pisse près de la mosquée Fath, les flics au passage, le stand de Telecom près du TGM, l’handicapé mental au feu devant Hattab. Lui je l’ai connu à rue de Russie, il était allongé sur le trottoir , sans pantalon et observait avec fascination son propre caca, bien frais, qu’il venait de chier devant une galerie d’exposition ( je ne peux pas la définir comme une galerie d’Art) . 

Et même hors de cette ville, tout se ressemble. Inlassablement. Urbanistes de merde. 

Appelez là comme vous voulez, anxiété, crise de panique, période difficile, un Down, une “déconstruction” de soi. Mais ce que c’est réellement , c’est une envie de changement, de rupture sans négociation avec ce visage vieux et froid du passé qui surveille , espionne, rappelle à l’ordre. Ce que c’est, c’est la peur de perdre le peu qu’on a  , peur que ça parte en vrille au point de s’accrocher aux roues d’un avion parce que pas de visas, pas d’argent, pas de destination. Peur d’être condamné dans un pays où chaque bout de ce que vous êtes est une pièce à conviction. 

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