Le sauvetage de la Tunisie passera par l’imagination

Imaginer : Faculté de raisonner, de spéculer, d’inventer, d’élaborer de nouveaux concepts, de nouvelles théories, de trouver des expédients.

La décolonisation est une renaissance impossible, un désir de retrouver des morceaux de soi dans le passé et c’est, d’abord et surtout, réinventer le fond.

Ce n’est pas seulement relever les traces apparentes qu’a laissées le colonisateur, ou plutôt les traces de son interruption imposée dans la vie d’un territoire, d’un peuple, c’est bien plus complexe et douloureux. Car c’est de l’invisible qu’il s’agit. L’invisible ne contredit pas la réalité, bien au contraire. Le train de l’Histoire roule sur les rails d’événements invisibles.

Je veux parler d’un des dégâts de la colonisation, ce ne sont ni les morts, ni l’exploitation des richesses naturelles, c’est bien pire. Mais d’abord, je voudrais diviser le colonialisme en deux : le colonialisme et néocolonialisme traditionnel(vieux monde) et le colonialisme capitaliste, et technologique (nouveau monde) .  

Le colonialisme du vieux monde ( il inclut toutes les invasions) a détruit notre capacité à développer des outils et méthodes de pensée propres à nous et applicables à nos spécificités. Il ne s’agit pas d’un simple contre-temps, mais d’un trou dans le cerveau de chaque Tunisien, Algérien , Libyen ou Marocain. Un trou dans le cerveau que les dictatures ont su entretenir et rendre plus profond. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Que tout est importé, et ce qui n’est pas importé est fondé sur le mythe donc la forme. Tout y passe : la politique, la télévision, le cinéma, la société civile, l’éducation etc.  C’est l’importation de la forme et l’incapacité de créer des outils spécifiques pour produire du fond.


Le fond d’une pensée, est le noyau de la volonté d’exister de chaque individu. Car c’est par le cerveau qu’on existe. Les rires, les larmes, l’irrationalité même, le deuil sont les produits du cerveau et non de l’âme. Cela peut paraître sec pour certains, mais rassurant si on accepte de donner la place que cette centrale neurologique mérite. Machine invisible qui fait tourner le monde. 

Un cerveau amputé est un cerveau sur lequel tout se greffe.

Nous voici dans le nouveau monde où tout en diffusant toutes les données sur ta vie privée sur les réseaux sociaux, tu partages la photo de Snowden. Nous en sommes là, cerveaux amputés ingurgitant les flux incessants d’informations tragiques sur un pays qui se cherche depuis dix ans et dont malheureusement une grande partie à céder à la forme plutôt qu’au fond. 

Les limites de la forme : Le cinéma tunisien en est la meilleure illustration, c’est un cinéma plastique, tiède, naïf, il est l’art le plus colonisé dans notre pays financièrement et scénaristiquement. “Le silence du palais” et “Halfaouine” sont des films orientalistes, avouez qu’ils le sont, c’est savoir où les ranger dans l’Histoire du cinéma, quant aux films tunisiens des dix dernières années, c’est un cinéma qui a participé à la production d’un récit sociopolitique spécieux, même les tentatives pour des genres plus marqués comme l’horreur ou le surréalisme restent superficielles. Le film qui a fait du plus d’entrée au box-office dans l’histoire du cinéma Tunisien est le film “Dachra”, un patchwork de références de films d’horreur US. Nos conteurs modernes, les cinéastes locaux, n’arrivent pas à révéler l’invisible. La problématique de la forme est aussi dans d’autres champs de création, par exemple l’Art Contemporain tunisien qui ne fait bander que ceux qui le produisent. Que veulent-ils nous dire ? Pourquoi sont-ils si loin, si orphelins ? La musique, il n’y a plus de paroliers dans le pays, que des titres de rap jetables, ou des reprises incessantes des mêmes titres de Jouini et Warda. Le théâtre quant à lui est prisonnier de sa classe, prisonnier de son mythe fondateur, même les jeunes metteurs en scène écrivent comme des vieux.

Revenons à 2021, et à la deuxième catégorie de colonialisme tech et capitaliste, qui fonctionne comme une google car, sans conducteur, l’algorithme se charge de tout .

Que se passe-t-il quand un cerveau qui ne produit pas d’outils et de méthodes de pensées spécifiques à son environnement est dépassé par les évènements? Il nie, minimise, normalise, ou au contraire il devient un contenant de revendications irréalistes en terme d’exécution dans le temps donné . Il produit des ambitions précaires qui s’essoufflent à fur et à mesure que la réalité de l’environnement prend le dessus. Nous avons un retard technologique bien trop important pour ne pas tenter de créer une technologie adaptée à nos besoins/moyens spécifiques , comme la Low-tech , ou l’éco-tech? Pourquoi ne sommes-nous pas des inventeurs? Est-ce seulement le manque d’argent? Non. C’est pire. C’est un manque d’imagination.

La colonisation, c’est tuer l’imagination d’un peuple. Notre imagination, renaîtra-t-elle par nécessité ? Ne sera-t-il pas trop tard dans un monde qui change en un clique droit : « actualiser la page ». Un monde plus égoïste où les pays riches se soignent et les pauvres attendent les dons ? Un monde dont nous ignorons tout des machines qui la régissent ? Et surtout à quand la production d’une technologie du SUD accessible , sobre et durable ? 

Dans une interview très intéressante, Bourguiba larmes aux yeux, décidé et humilié dit: » Je regardais fasciné la machine qui nous écrasait ». Bourguiba nous devons le ranger sur une étagère , y revenir à d’autres moments, car nous, notre regard ne doit pas être fasciné par la machine qui nous écrase. Notre regard doit trouver un point fixe, un objectif , une obsession: Inventer notre machine. Inventer nos méthodes. Inventer nos solutions .

Ca sera l’imagination ou rien.

Laisser un commentaire

Un site Web propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer